Savez-vous ce qu’est l’exil écologique ?

Capture d'écran du 24/02/2023 au 20/12/15

L’ex­pres­sion scien­ti­fique « exil éco­lo­gique » fait mal­heu­reu­se­ment désor­mais par­tie de notre voca­bu­laire com­mun, car cela devient un phé­no­mène beau­coup plus cou­rant. Tout comme la crise cli­ma­tique dont il est issu, le phé­no­mène est désor­mais mon­dial.

Qu’est-ce que l’exil écologique ?

Le terme « exil éco­lo­gique » fait réfé­rence au dépla­ce­ment for­cé des popu­la­tions séden­taires en rai­son de la crise éco­lo­gique et cli­ma­tique.

C’est le terme aca­dé­mique pour être obli­gé de quit­ter son pays d’o­ri­gine parce que son envi­ron­ne­ment n’est plus sûr ou sain, en rai­son du chan­ge­ment cli­ma­tique. À cause de l’é­lé­va­tion anor­male du niveau de la mer, de l’ac­cé­lé­ra­tion de l’é­ro­sion, des pénu­ries d’eau, la sur­ex­ploi­ta­tion agri­cole ou des chan­ge­ments géo­lo­giques, tels que l’af­fais­se­ment ou le ramol­lis­se­ment du sol.

La dési­gna­tion est deve­nue plus lar­ge­ment uti­li­sée par­mi les uni­ver­si­taires après qu’un cher­cheur cana­dien Derek Gald­win, membre du Conseil de recherches en sciences humaines, a publié son livre Exil éco­lo­gique : injus­tice spa­tiale et huma­ni­tés envi­ron­ne­men­tales.

Ralen­tir la défo­res­ta­tion dans la forêt ama­zo­nienne Wara­nont (Joe)

De l’Amérique Latine à l’Europe

Jour­na­liste scien­ti­fique che­vron­né, fon­da­teur et direc­teur de maga­zine Aquí Lati­nos, M. Per­ez Ube­rhua­ga a accep­té de par­ta­ger avec nous son témoi­gnage sur le sujet.

Edwin Pérez Ube­rhua­ga a émi­gré en Europe il y a 15 ans depuis la Boli­vie. Il a épou­sé Esther, une char­mante fran­çaise. Il vit désor­mais entre l’Es­pagne et la Suisse, par­cou­rant tout le conti­nent pour faire un compte-ren­du de la vie ordi­naire et extra­or­di­naire des Lati­no-Amé­ri­cains en Europe.

Edwin Per­ez Ube­rhua­ga à Paris le jour de notre inter­view, le 18 février 2023

Le maga­zine est une com­pi­la­tion d’his­toires per­son­nelles et d’ar­ticles de réflexion sur les évé­ne­ments poli­tiques en Europe et dans les Amé­riques. Il revient sur l’exis­tence des lati­nos en Europe, dont cer­tains ne sont pas arri­vés de ce côté-ci de l’At­lan­tique par amour, par choix ou par ambi­tion, mais parce que des causes éco­lo­giques les ont for­cés à démé­na­ger.

Sur le sujet, M. Pérez Ube­rhua­ga a écrit pour nous :

Je suis témoin de l’exil éco­lo­gique moderne. En plus de 30 ans de voyages à tra­vers le monde en tant que jour­na­liste, j’ai été témoin d’un phé­no­mène qui n’est pas nou­veau mais qui s’est for­te­ment inten­si­fié : l’exil éco­lo­gique. Presque tout le monde parle d’exilés poli­tiques, éco­no­miques, de tra­vailleurs ou de migra­tions pour étu­dier, tra­vailler, l’a­mour ou l’a­ven­ture, mais rares sont ceux qui évoquent le départ dou­lou­reux d’un centre rural tou­ché par le chan­ge­ment cli­ma­tique ou par des tra­gé­dies natu­relles ou pro­vo­quées par la guerre.

J’ai vu des agri­cul­teurs souf­frir de séche­resses ou d’i­non­da­tions, puis je les ai vus dans une ville euro­péenne souf­frir peut-être deux ou trois fois plus d’un trau­ma­tisme migra­toire, ne com­pre­nant pas les règles de la « grande ville » (métro, tram­way, paie­ments ban­caires, vie en immeuble, etc.). J’é­tais dans la région ama­zo­nienne de la Boli­vie, du Pérou et du Bré­sil (Bol­pe­bra), tou­chée par la sur­ex­ploi­ta­tion d’or et de terre pour les pro­duits chi­miques uti­li­sés pour fabri­quer de la cocaïne. J’ai visi­té l’an­cien et main­te­nant dis­pa­ru, lac Poopó à Oru­ro, en Boli­vie, j’ai mar­ché dans la zone chaude de Bari­nas au Vene­zue­la, ou dans la mer des Caraïbes en Colom­bie, dont les pois­sons ne vivent plus aus­si long­temps qu’a­vant.

J’ai regar­dé le Nil désor­mais conta­mi­né en Egypte ou les eaux plus ou moins bien pré­ser­vées de la mer Morte en Israël, où le sys­tème hydro­po­nique peine à semer dans des déserts vides. Plus récem­ment, j’ai vu les fleuves Tage et Dou­ro qui atteignent l’Es­pagne et la nais­sance de l’At­lan­tique au Por­tu­gal, dont les eaux sont éga­le­ment conta­mi­nées.

J’ai tra­ver­sé en bus les Alpes suisses, fran­çaises et ita­liennes, où le froid et la neige ont obli­gé de nom­breuses per­sonnes à se rendre dans le para­dis lati­no-amé­ri­cain. Aujourd’hui, ces mon­tagnes ennei­gées perdent de la neige et obligent à une pro­duc­tion arti­fi­cielle pour les sports d’hiver.

À tous les déchets qui exis­taient aupa­ra­vant, s’ajoutent désor­mais l’existence de masques, de pré­ser­va­tifs et de réci­pients pour bois­sons et médi­ca­ments, qui sont ingé­rés par les ani­maux que nous chas­sons et man­geons ensuite, dans un cercle vicieux très dan­ge­reux.

L’exil poli­tique et éco­no­mique a des règles presque claires. Mais l’exil éco­lo­gique est plus dif­fi­cile à com­prendre et à expli­quer.

Com­ment ima­gi­ner qu’un indi­gène ou un agri­cul­teur doive faire ses valises pour s’installer sur un ter­ri­toire étran­ger ? Com­ment expli­quer à un consul ou à un agent de migra­tion qu’il n’y a pas d’al­ter­na­tive ?

Edwin Pérez Ube­rhua­ga pour Para­digme Mode
Réfu­gié Que­cha

« Dans des pays comme la Colom­bie, il n’y a pas eu seule­ment un exil éco­lo­gique, mais aus­si des diri­geants pay­sans qui ont été contraints de quit­ter leurs terres pour s’op­po­ser aux socié­tés trans­na­tio­nales qui exploi­taient de manière irra­tion­nelle l’eau et les res­sources natu­relles de leurs terres.

Dans mes trois livres et une cen­taine d’é­di­tions de la revue Aqui Lati­nos, j’es­saie d’in­for­mer sur ce pro­ces­sus et, comme d’autres, de mon­trer le « visage de la migra­tion » qui peut prendre de nom­breuses formes : champ-champ, champ-ville ou champ-pays étran­ger.

C’est jus­te­ment ce visage brû­lé par le soleil et ces mains cal­leuses qui doivent aujourd’­hui exer­cer d’autres métiers nous montrent qu’il y a encore un grand pro­blème en sus­pens avec ce type d’exi­lés. Né et éle­vé avec leur Pacha­ma­ma (Terre Mère), ils sont désor­mais loin de leurs mon­tagnes, forêts et mers, sans que per­sonne ne com­prenne l’am­pleur de leur condi­tion de vic­times de l’é­co­cide moderne..

Quoi qu’il en soit, nous devons res­ti­tuer leurs terres, assai­nies et pro­duc­tives. Nous devons aus­si com­prendre les racines de leur migra­tion. C’est le moins que nous puis­sions faire pour retour­ner à un équi­libre entre l’homme et la nature a décla­ré Edwin Per­ez Ube­rhua­ga le 20 février 2023.

Une tension supplémentaire pour les dirigeants européens

Alors que l’Europe est déjà confron­tée à une crise migra­toire poli­tique et éco­no­mique, le phé­no­mène conti­nue de s’étendre. Si cela est deve­nu évident lorsque les migrants d’outre-mer ont com­men­cé à racon­ter leurs his­toires et les rai­sons qui les ont pous­sés à émi­grer, ce phé­no­mène est éga­le­ment en bonne voie à l’intérieur de nos propres murs.

L’exil éco­lo­gique a dépla­cé – et conti­nue de dépla­cer – des per­sonnes de l’Europe de l’Est vers l’Europe de l’Ouest ou de la Médi­ter­ra­née vers les pays du Nord, à l’intérieur et à l’extérieur de l’espace Schen­gen.

Rivage pol­lué en Médi­ter­ra­née, par Nigel Wal­lace

Au-delà de l’article

Écrit par Malu Ben­ja­min
24 février 2023

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